Domingo, 9 de Noviembre de 2008
Article publié sur Le Monde par Véronique Mortaigne
La carrer Codols descend vers le port, si étroite que, selon la légende, un voisin peut embrasser son vis-à-vis depuis son balcon. C'est l'une des dernières rues foutraques de la Ciutat Vella (vielle ville), qui firent la réputation fêtarde et indisciplinée de Barcelone. C'est là que s'est niché le bar Mariatchi, couleurs rastas, comptoir en bois brut, un rumbero à la tête de bûcheron avec feutre mou et guitare au dos, une créature au corps de gargouille de cathédrale, une Colombienne à la poitrine généreuse. C'est le repaire du chanteur franco-espagnol Manu Chao. Fort de cette tutelle, le Mariatchi pourrait couler des jours heureux, si n'étaient les interventions répétées de l'ayuntamiento, la mairie, peu amène à l'égard des "lieux culturels que sont les bars musicaux et les bodegas de quartier", selon Aitzi. Basque et militante "alternative", elle veille aux affaires du Mariatchi. Policiers en civil traquant le joint, ordre de fermeture temporaire, accumulation kafkaïenne des réglementations, demande de mise en conformité des locaux "avec des travaux de plus en plus onéreux" : on leur cherche des poux, ici comme "à Paris ou à Buenos-Aires". Le Mariatchi n'est pas seul. Une brigade avancée de ces bars barcelonais "persécutés par la normalisation de la vie des citoyens" vient de fonder un nouveau gang, Barcelona Postiza ("Barcelone postiche", dans le sens de faux), afin d'enrayer l'extinction à petit feu de la culture populaire des rues "au profit d'une économie touristique clean et policée". Le 15 novembre, Barcelona Postiza organise une soirée (débats, concert, etc.) à l'Ateneu Popular 9 Barris, lieu dévolu au cirque et aux arts de la rue, créé en 1977 - ce qui indique que la résistance a commencé il y a longtemps sans que les "activistes" aient encore gagné la bataille. Cette contre-culture est relayée sur Internet par Radio Chango, créée par Manu Chao et ses amis, "mélange de rythmes sans frontières... des cris engagés, une vue sur les injustices du monde". A Barcelone, les émissions sont diffusées depuis la rue Codols, dans un de ces immeubles assez décrépits et hauts en couleur pour que les contempteurs du désordre aient de sérieuses envies de réhabilitation urbaine. "Moi, j'ai connu des combats plus difficiles, mais vous, les jeunes, vous avez le pouvoir, prenez-le", conclut El Tigre, un quinqua en blouson de cuir, cogérant de la Bodega Salto, institution du quartier Poble Sec, sous le coup d'un arrêté de fermeture. Plus de rock en soirée, plus de "vermouth" du dimanche matin avec les papys du voisinage. "Voilà la nouvelle forme de la dictature", selon Tigre.